L' atelier de Véronik

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Rêve de mariage

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 Marylène s’admire dans le miroir. La robe vient juste de lui être livrée, mais elle était si impatiente qu’elle
n’a pu attendre avant de la porter. Chamarrage de couleurs et de formes. Ses teintes chatoyantes, ses dessins originaux juxtaposés semble-t-il au hasard, créent le vêtement atypique qui la caractérise si bien.  Elle avait remarqué le tissu dans le magasin, son œil n’avait plus pu quitter le brouillon élégant. Sans attendre de vendeuse, Marylène avait déroulé la soie légère cherchant le phrasé polychrome. Mais non, aucune répétition, aucune logique dans le rythme et la disposition des images. Chaque centimètre était une découverte, une nouvelle syllabe dans l’écriture du tableau pictural. Sur son corps, les formes vivent, enfin. Marylène bouge, tourne, pirouette, admire la légèreté de l’étoffe, le tombé de la jupe, incapable de s’arrêter de danser.
—     Regarde, Rouky …L’épagneul lève un œil distrait.
—     Regarde ta maîtresse comme elle est magnifique, hein mon chien ? Rouky penche la tête à droite, à gauche. « Qu’a-t-elle donc à s’agiter ainsi ? ». Il se gratte furieusement l’oreille avant de se recoucher. Marylène continue à le prendre à témoin. C’est sûr, elle allait être la plus belle à ce mariage. Loin d’elle l’idée de voler la vedette à sa cousine, la jeune mariée, mais les paroles de la voyante virevoltent dans sa tête comme l’incroyable robe autour de sa silhouette mince.
—     Soyez attentive madame, sachez que les mariages sont un excellent endroit pour faire la rencontre de votre vie ! Pensez-y ! Marylène s’est étonnée.
—     Un mariage ? Mais je ne connais personne qui se marie. D’ailleurs les gens se marient de moins en moins, alors voyez-vous, ce n’est sûrement pas là que je vais trouver l’amour ! Et puis, à mon âge …
—     Ouvrez grands vos yeux et vos oreilles !
—     Prétendez-vous que je doive squatter une cérémonie !
—     Non, bien sûr. Vous n’aurez pas besoin de cela ! De retour chez elle en fin de journée, Marylène avait trouvé le faire part dans sa boîte aux lettres. Sa jeune cousine Clothilde convolait en justes noces, et la réclamait comme témoin. Il n’en fallut pas plus à la quarantenaire pour conclure que la voyante était exceptionnellement douée. De ce jour, la tête emplie des prédictions de la prophétesse, Marylène n’eut plus qu’une idée en tête : briller ! Pour elle, les futures festivités ne se résumaient pas au mariage de Clothilde, mais plutôt à satisfaire son désir d’être un jour à sa place au bras du futur époux de ses rêves. D’où la
nécessité absolue de se faire remarquer ! Peu encline à la communication verbale, Marylène dut trouver d’autres solutions. Une tenue vestimentaire lui permettant d’attirer le regard lui parut une excellente opportunité.
Aujourd’hui, elle ne le regrette pas !  
***
Marylène ne tient plus en place. Elle doit se faire violence pour ne pas porter la robe chatoyante partout. A la
maison, au bureau, en promenade, voire chez Clotilde, laquelle lui demande son avis pour tout et n’importe quoi.
—     Que penses-tu de mes chaussures, ma coiffure, mon maquillage, mes boucles d’oreilles ?
—     Mmmh !
—     Ça veut dire quoi ? s’offusque Clotilde de si peu d’aide de sa part.
—     Rien ma chérie, tout est parfait. Tu vas être parfaite !
—     On dirait que tu dis ça pour me faire plaisir, que tu t’en fiches !
—     Mais non, pas du tout. Tu es très belle, ne t’inquiète pas !Elle pique un baiser sur le nez de sa parente, avant de disparaître, ayant paraît-il d’autres chats à fouetter.
C’est une semaine avant la fête que tout dérape. Marylène a fait une erreur. Une erreur fatale. La veille après
avoir paradé dans tout l’appartement vêtue de LA robe, elle l’a déposée là. Sur le bras du fauteuil. N’a pas pris le temps de la ranger dans sa housse, n’a pas anticipé la catastrophe. Se sait impardonnable ! Constater désormais le tapis du salon constellé de débris de soie colorée, lui arrache un cri d’horreur.
—     Mais qu’est ce que … ? Mais qui ? Mais, mais … Non, je le crois pas ! Rouky ! C’est toi qui a fait ça ? C’est pas possible, non, je ne peux pas croire que ... Le dit Rouky, visiblement apeuré par la colère de sa maîtresse tente désespérément de glisser sous le canapé du salon. Signe évident de culpabilité. Du moins pour Marylène. Elle, trépigne, hurle au ciel son désespoir, son rêve de séduction brisé. Enervée, elle attrape
le pauvre animal par son collier, le traîne sur le balcon, l’y enferme. Elle s’en veut. Savait. Connaissait le penchant de Rouky pour dépenailler tout ce qui portait à la portée de ses jeunes dents. Il lui avait déjà détruit trois paires de mules, cinq paires de chaussettes, et s’était attaqué avec appétit à ses Louboutin retenu de justesse par une Marylène menaçante. Le scenario était le même à chaque fois. Il prenait son air triste, les oreilles tombantes, l’œil mouillé et Marylène craquait. Elle s’excusait, consolait d’une caresse et d’un baiser
sur le poil doux. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui elle mouille de ses larmes le patchwork artistiquement anarchique, pleure son rêve déchu et son célibat advitam aeternam. La voyante l’avait prévenue, c’était maintenant ou jamais ! Epuisée, Marylène finit par sécher ses larmes, ouvrir la porte à Rouky qui se jette dans ses jambes pour lui faire la fête. Sa maîtresse n’a pas la force de le repousser. Après tout,
ce n’est qu’un chien, c’était à elle de faire attention.  Trouver une solution ! Vite ! Dans l’instant elle réagit cognitivement, réfléchir lui est impossible. Elle ramasse les chutes de tissu, des petites, des grandes. Les étale hâtivement sur la table de sa cuisine débarrassée pour l’occasion de tout ce qui y traîne
d’ordinaire d’inutile. Rouky pensant à un jeu, saute autour d’elle sans qu’elle en fasse cas.
—     Voyons voir, ce morceau doit aller … ? Là ! Non pas possible, plutôt ici ! Ah mais non, je suis nulle ! Au bout d’une heure, elle doit l’admettre, il n’y a plus rien à tirer de ce kaléidoscope tant admiré. Plus
aucun charme. Elle s’étonne de ne pouvoir retrouver l’élégant dessin. L’absence d’organisation ressenti lors de sa découverte au magasin, lui semble désormais hyper hiérarchisé, contrôlé, réfléchi. Il ne suffisait pas d’accrocher les morceaux dépecés n’importe comment. Que nenni ! Seule solution, retourner à la boutique, racheter le tissu, refaire la robe. Le temps d’y penser, Marylène attrape son sac à main, ses lunettes de soleil, son parapluie et son chien. La voilà repartie. Une demi-heure plus tard, c’est le coup de grâce. La vendeuse explique. Elle a été dévalisée, tout le monde voulait cette soie sauvage au graphique si particulier. Il ne lui reste plus qu’un petit mètre, insuffisant pour refaire une robe. La marche a toujours permis à Marylène de mieux réfléchir. Chemin faisant, une de ses idées folles a germé dans son esprit. Plus folle que toutes celles qu’elle a eu jusqu’à présent, pourtant pas piquées des vers.
—     Ce n’est pas grave mademoiselle, je prends ce dernier mètre de tissu !
—     Oui après tout, vous pouvez toujours faire une jupe !
—     Une mini jupe, voulez-vous dire ?
—     Euh ! Je ne sais pas, vous savez moi, la couture … Marylène ne s’attarde pas à discuter avec la fille, elle a un rendez-vous important à prendre. La semaine à venir va être bien occupée, ça c’est sûr !

Jour de mariage

Clotilde s’inquiète. Dix fois elle a appelé Marylène sans succès. Elle se voit déjà devant l’autel, sans son
témoin, les invités les yeux rivés sur la porte de la mairie plutôt que sur les mariés prêtant serment.
—     Mais qu’est-ce qu’elle fout ??
—     Tu aurais dû choisir quelqu’un d’autre ma chérie, tu sais comme elle est fantasque !
—     Merci de me rassurer Maman ! Franchement, tu crois vraiment que c’est le moment de me dire un truc pareil !
—     Ça fait une semaine que tu ne l’as pas vue, tu aurais pu te méfier !
—     Arrête s’il te plaît, je vais pleurer !
—     Tu ne peux pas voyons Clotilde, ton maquillage allons …

15 h 00 – Entrée à la mairie 

Le visage blême, Clotilde s’avance vers le Maire. Lui, sourit bêtement, heureux qu’il se passe quelque
chose dans sa commune. De Marylène, toujours pas de nouvelles. Les invités sont là, en tenue d’apparat, les chaises grincent lorsqu’ils s’assoient tous en même temps. Le marié les yeux écarquillés ne comprend pas la mine défaite de sa future. Elle lui glisse discrètement « Marylène » avant de prendre place à son côté. Jérémy tourne la tête en tous sens, comprend. Malgré la défection d’un des principaux acteurs de l’événement, le maire attaque les recommandations d’usage. Arrivé à la deuxième phrase, il est interrompu par des cris. Il croit comprendre qu’on empêche l’entrée d’une personne dans l’enceinte de l’hôtel de
ville. Il stoppe son laïus, attend le retour au calme. Qui ne vient pas. Au contraire. Marylène vient de faire irruption dans la maison commune. A chacun de ses bras est accroché un policier municipal, sans qu’aucun n’ait réussi à la retenir.
—     Je suis le témoin de la mariée, laissez-moi entrer nom de Dieu ! Les bigotes se signent, les hommes se marrent, les enfants se moquent.
—     Marylène ! s’offusque Clotilde, mais tu es nue !
—     Nue et un peu ivre j’ai l’impression ! précise le marié à qui on n’a rien demandé.
—     Ivre d’accord, nue pas complètement ! répond l’incriminée. Eh, qu’avez-vous à me regarder comme ça tous, vous ne connaissez pas le body painting ? C’est vrai que dans ce bled paumé ! Sans attendre de réponse ni de commentaires, Marylène vient se poster à côté de Clotilde, dévoilant aux regards curieux de la foule assemblée, son dos, ses jambes, et son postérieur couvert des graffitis aux couleurs de la robe déchirée. Le maire, perturbé par la face sud de la cinquantenaire ô combien peinturlurée, reprend son discours solennel avec difficulté. Il bégaie, oublie les noms, les prénoms, bute sur les mots.
Marylène sourit, Clotilde a honte, le marié s’efforce de rester sérieux, le public gronde. L’officier du ministère public ne peut empêcher son regard de vagabonder sur le corps aux formes voluptueuses. Le tissu peint avec délicatesse sur la peau mate du modèle met en lumière les courbes harmonieuses.
L’intimité dissimulée derrière le coup de pinceau précis de l’artiste évoque un fruit à graines fécondes, ses seins couverts de fleurs multicolores, pensées suggestives qui font rougir le maire et déclenchent maints bavardages dans l’assemblée. L’admiration lue dans les yeux de l’homme fait battre le cœur de Marylène qui défaille.
Surtout que Monsieur le Maire est bel homme, la cerise sur le gâteau … de mariage !C’est finalement à son bras que Marylène fera une nouvelle entrée remarquée à la mairie six mois plus tard,
lors de ses propres noces … en robe blanche !    
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